Adaptations cinématographiques des livres jeunesse

Alors que vient de sortir dans les salles obscures une adaptation de L’aigle de la 9ème légion, il est intéressant d’étudier l’essor de ce phénomène d’adaptation de livres en films, la ‘filmisation’ et celui inverse de films en livres, appelé ‘novelisation’.

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Plusieurs aspects doivent être considérés dans cette analyse. Dans un premier temps, interrogeons-nous sur le passage du livre au film, appelé en anglais ‘filmisation’. L’aspect commercial non négligeable n’est pas le seul point à considérer. N’assistons-nous pas à une évolution dans la rédaction des livres jeunesse du fait du rapprochement entre littérature et cinéma ? Dans un second temps, posons-nous la question de la place des ‘novelisations’ dans la littérature. Produit dérivé du cinéma ou oeuvre littéraire ?

Un bref historique pour rappeler que ces pratiques, si elles se généralisent actuellement, ne sont malgré tout pas récentes. Le roman  épisodique Fantômas de Marcel Allain et Pierre Souvestre a donné lieu à des adaptations cinématographiques dès 1912. Et réciproquement, les films de Walt Disney ont commencé à être novelisés en 1929 !

Le livre jeunesse représentait en 2009, 14,6% du chiffre d’affaires de l’édition. C’est donc un secteur commercial important qui, afin d’être rentable, se développe, selon Bertrand Ferrier*, selon trois axes : la ‘sur-sectorisation’ (découpage en tranches d’âges de plus en plus précises et pouvant se chevaucher), la prescription scolaire et les poly (multiples éditions d’un texte : album, roman, divers formats…) et multi-exploitation (édition, audiovisuel…).

Si nous considérons l’aspect commercial du passage d’un livre en film, il est aisé de comprendre qu’il donne une visibilité nouvelle au livre et du même coup l’amène à changer de statut : le livre, objet culturel, devient un produit de grande consommation. L’arrivée du film s’accompagne généralement d’une réédition du livre avec une maquette modernisée utilisant des photos tirées du film. Stormbreaker d’Horowitz, adapté en 2006, en est un excellent exemple.

Cette nouvelle dynamique livre-film-livre a pour conséquence qu’il est devenu courant de signer conjointement un contrat de cession des droits d’édition et un contrat des droits audiovisuels. Cette nouvelle association ne possède pas qu’un aspect commercial. Elle s’inscrit aussi dans une redéfinition de la notion de culture de base proposée en milieu scolaire. D’ailleurs l’Education Nationale ne s’y est pas trompée en créant un prix « qui met à l’honneur un film de la sélection officielle du Festival de Cannes dont l’originalité de forme et de contenu permet d’engager un travail artistique et pédagogique de longue durée ». En 2010 Des hommes et des Dieux a été primé. Et Jan Beatens explique « Dans le débat sur les rapports entre cinéma et littérature, il n’est plus question de considérer films et livres comme appartenant à deux systèmes culturels différents et autonomes, ayant chacun leur propre code, leurs propres conventions ou encore leurs propres traits spécifiques... De plus en plus on a l’impression que toutes les pratiques se mélangent et qu’on évolue rapidement vers une structure à la fois et, paradoxalement peut être, hybride et globalisée. Hybride, puisque les frontières entre les arts, les médias, les genres, les registres se brouillent. Globalisées, puisque toutes ces formes sont maintenant prises en charge par un système unique, celui de l’infrastructure numérique permettant la production, l’enregistrement, l’archivage, la circulation et enfin la transformation des signes. »

Les classiques sont aussi « filmisés ». Ainsi Oliver Twist. La version originale a servi à Roman Polanski pour rédiger son scénario. Puis l’édition a repris le sujet en sortant un texte original « raccourci » ainsi que des albums, pour certains enrichis de dossiers documentaires. C’est donc une véritable relecture d’une oeuvre classique qui est mise à la disposition du jeune public : une nouvelle version, plus proche de son univers, plus facile à s’approprier en expliquant visuellement le contexte historique, économique et social de l’oeuvre initiale.

Maintenant qu’il est établi que ce passage livre-film est devenu une composante non négligeable de l’édition, posons-nous une question. Les auteurs tiennent-ils compte de cette double exploitation dans la rédaction de leur ouvrage ? Sans prétendre à l’exhaustivité dans l’analyse des romans actuels, il est possible cependant de relever certains aspects de l’écriture qui rappelle ceux indispensables à l’élaboration de scenarii. La présence du « cut » donne un aspect dramatique au récit. Ce « cut » est une rupture dans l’écriture qui procure ainsi un suspens insoutenable, donnant l’irrésistible envie de poursuivre la lecture. La densité de l’action, la vivacité des dialogues sont aussi des caractéristiques de l’écriture actuelle et se retrouvent dans les scenarii. Et comment ne pas croire que l’abondance de « gros romans », ouvrages de plus de 500 pages, à l’intrigue bien ficelée, ne sont pas rédigés en vue d’une exploitation cinématographique ? Cette finalité n’a aucune raison de nuire à la qualité de l’écriture et c’est donc le lecteur qui est le gagnant. La question de savoir si le livre amène au film ou le film au livre demanderait d’être traitée dans un dossier indépendant. Nous ne nous y attarderons donc pas.

Traitons plutôt du deuxième aspect de l’association édition-cinéma qui est celui de la ‘novélisation’, le passage du film au livre. Les aventures télévisées de Dino viennent de faire l’objet d’une telle opération. Les illustrations sont des images tirées du dessin animé.

Rappelons que Bayard Jeunesse avait créé en 2008 une nouvelle édition pour éditer les 26 épisodes de Loulou de Montmartre, épisodes diffusés par France 3. Le volume 16 est sorti le 6 mai 2011 alors que la diffusion télévisée est terminée et que les DVD présentent tous les épisodes en 2 coffrets : saison 1 et saison 2.
 

Les aventures de Gaspard et Lisa connaissent le même sort. Quatre épisodes télévisés viennent de donner lieu à des albums : Gaspard et Lisa fabriquent un cerf-volant, G&L et la super fusée, G&L font de la magie et G&L et les tomates disparues.  Rappelons qu’au départ, ce sont des albums qui ont été à l’origine des dessins animés ! Des allers et retours bien significatifs de la proximité qui existe entre le livre et le film, les mots et l’images !

Récemment Le Petit Prince a fait l’objet d’un type de démarche encore légèrement différent. La sortie en feuilleton télévisé, DVD, roman et album s’est faite conjointement. Le livre, rédigé par un auteur reconnu en littérature jeunesse Fabrice Colin a été conçu parallèlement au dessin animé. L’enfant a donc en main de nombreuses clés pour accéder à cette oeuvre. L’aspect novateur de cette démarche est à retenir et à observer. De nombreux épisodes doivent suivre.

Pour finir, revenons sur l’aspect proprement littéraire de notre étude en reprenant une réflexion de Bertrand Férier : « Y a-t-il provocation  de prétendre que la novélisation d’une série télévisée peut être analysée avec les mêmes outils et les mêmes exigences qu’un roman communément admis comme littéraire ? » Notre réponse, en tant que site de critiques de livres jeunesse, est simple : l’analyse de ces livres doit tenir compte de la qualité de la langue, de la richesse du vocabulaire, de l’intérêt de l’intrigue, de la véracité des psychologies tout comme de l’aspect suspens résultant de la technique du « cut », de la qualité des dialogues et de la densité de l’action. L’aspect littéraire « emprunté » à l’écriture de scenarii ne peut qu’enrichir le livre final. Si le livre n’est qu’un scenarii, que l’aspect littéraire en est absent, la critique le signalera.

Nous conclurons en disant que situé en amont ou en aval de l’oeuvre audio-visuelle le livre semble non seulement  changer de statut mais également évoluer quant à son aspect proprement littéraire. Mais, plutôt que de lancer un anathème sur ce type de littérature, rappelons-nous que les écrits du XIXème sont souvent parus en épisodes, dans les journaux, avant de devenir des oeuvres éditoriales indépendantes. N’était-ce pas aussi un changement de taille ?

* Bertrand Férier, « Les novélisations pour la jeunesse : reformulations littéraires du cinéma ou reformulations cinématographiques de la littérature ? » dans Fabula LHT n°2, dec 2006

Pour compléter ce dossier : « La novellisation » , thèse de doctorat de Prisca Grignon, Montpellier-3,2007

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Un commentaire pour Adaptations cinématographiques des livres jeunesse

  1. inescomme dit :

    On peut ajouter à cet article très interessant le film de Nicolas Vanier « Loup » dont ont été tirés un roman et un bel album.

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